[Les facteurs influençant la performance et l’accomplissement des sportifs]

Il existe un lieu commun tenace encore aujourd’hui dans le monde du sport : il faut se focaliser à 100 % sur ses performances pour réussir ! Pour se donner toutes les chances, il faudrait ne penser qu’à son sport et rien d’autre. Ou encore, il faudrait passer un maximum de son temps à s’entraîner, quitte à rogner sur une diversification des activités, d’abord extra-scolaires puis extra-professionnelles. En somme, n’avoir et ne développer qu’une passion : son sport. Au fond, une telle idée se comprend, elle semble même logique.

 

Article autre identité du sportif

 

En effet, il est incontestable que le travail, parfois acharné, est une condition pour que viennent les résultats. Ce sont les sportifs qui suivent un entraînement dense, exigeant et rigoureux, qui se mettent dans les meilleures conditions de réussite. Par ailleurs, cette préparation doit être large pour le sportif de haut niveau, puisqu’elle englobe aussi sa nutrition, ou encore son temps de sommeil. C’est pourquoi cette injonction à en faire le maximum, qui vient souvent de la personne charnière pour le sportif qu’est son entraîneur, est d’abord bienveillante. Et, dans une certaine mesure, elle est nécessaire, surtout chez les jeunes, afin de faire comprendre le niveau d’exigence requis pour devenir un sportif de haut niveau. Il ne s’agit pas ici de contester ce fait, mais de le tempérer. Une autre perspective mérite d’être évoquée : et si s’ouvrir à d’autres activités peut avoir des effets bénéfiques sur la performance du sportif ?

La raison principale, c’est une question d’équilibre psychologique et de gestion du stress. La pratique d’une activité dite de loisir est un facteur important de la lutte contre le stress chez tout individu. Matthew Zawadzki, Heather Costigan et Joshua Smyth, chercheurs à l’Université de Californie, chiffrent la baisse du niveau de stress de 34 % durant l’activité de loisir, effet qui dure sur plusieurs heures [1]. De fait, le loisir est un moyen d’éviter le surmenage, et d’apaiser son esprit à intervalle régulier. Or, chez le sportif de haut niveau, la gestion du stress constitue un paramètre décisif de la performance sportive. Il y est en effet fortement exposé, surtout à l’approche des compétitions. Le sportif se met parfois une forte pression dans ces moments, et peut ne penser qu’au sport, l’empêchant de souffler. Cette situation peut favoriser la contre-performance. Chacun a sa méthode pour travailler sur sa gestion du stress, mais exercer une activité extra-sportive, elle aussi prenante et passionnante, semble être une solution à ne pas sous-estimer. C’est pourquoi le sportif de haut niveau a intérêt à cultiver sa curiosité pour d’autres domaines que son sport et à s’y investir réellement.

De même, exercer une autre activité est aussi un moyen de mieux vivre les passages à vide dans sa carrière, et de rebondir, ce qui peut aider à avoir de meilleures performances à long terme. De telles périodes, avec des résultats moins bons qu’espéré, ou une blessure qui traîne, tous les sportifs de haut niveau en connaissent. Certaines situations peuvent aller plus loin : les notions de dépression chez les sportifs, voire de burn-out sportifs ont commencé à être médiatisées, commençant à briser le tabou. Ce sujet sera abordé dans un article à paraître racontant l’histoire d’une championne de France. Mais ici, l’idée est de pouvoir prévenir ces situations. Car c’est un défi de pouvoir faire face aux mauvais moments de sa carrière pour se relancer. L’une des voies de retour vers un état positif sportivement, c’est peut-être aussi d’avoir une autre activité à laquelle se raccrocher. En effet, d’une part, c’est une manière de continuer à se fixer des objectifs pour lesquels un réel intérêt existe. Or, nous l’avions vu lors d’un précédent article : « on n’avance pas quand on ne marche vers aucun but » [2]. Avoir plusieurs activités qui tiennent à cœur, dans lesquelles on s’est engagé, c’est un moyen de rester actif et motivé, car ayant toujours un « telos », un objectif, la « cause finale » d’Aristote. Chez ce dernier, « Tout art et toute investigation, et pareillement toute action et tout choix tendent vers quelque bien, à ce qu’il semble. » [3]. Chaque activité tend nécessairement vers une fin, liée au bonheur. L’activité est alors un vecteur de sens, car en quelque sorte, on s’est donné une nouvelle fin. Que comprendre dans le cadre de la carrière sportive ? Quand l’activité sportive et ses objectifs vacillent, il serait alors possible de se focaliser sur un autre projet, stimulant et positif pour son équilibre de vie, en attendant de revenir à son niveau au lieu de s’exposer à une perte de sens. En conséquence, d’une part, il serait plus aisé de rebondir au moment opportun pour chercher à atteindre ses objectifs à nouveau. En effet, le temps éloigné du sport, ou celui de remise en question, serait rempli d’une vie désirée. Un état psychologique destructeur pour le sportif et sa carrière est ainsi évité. D’autre part, cela permet dans une certaine mesure de décorréler son accomplissement dans la vie de son accomplissement dans le sport. L’échec temporaire est moins douloureux car les objectifs de vie sont séparés, et le sportif peut s’accomplir à travers une autre activité.

En somme, il est entendu qu’il faut se donner au maximum pour atteindre ses objectifs et s’accomplir dans sa carrière sportive. Pour autant, il ne faut pas hésiter à diversifier ses activités, à garder du temps pour soi en vue de développer d’autres passions, d’autres relations, qui permettent de souffler et de réduire son stress. Cela permet aussi de rester motivé en cas de pépin et de revenir à la compétition dans de bonnes dispositions, car réussir sa carrière, c’est aussi réussir les passages à vide. Des activités extra-sportives permettent ainsi de s’accomplir dans sa vie présente, en équilibrant son mental, ce qui peut avoir un impact positif sur les résultats. Enfin, c’est un temps donné au développement de nouvelles capacités, à la préparation de l’après-carrière. Cela prépare à l’objectif pour lequel Ween Hub travaille :
l’accomplissement des sportifs sur le long terme, dimension décisive du bonheur, car « une hirondelle ne fait pas le printemps » [4].

 

[1] Zawadzki, Matthew, Costigan, Heather, et Smyth, Joshua. The relation of leisure activity to ambulatory mood, stress,
heart rate, and cortisol in daily life. Avril 2014.

[2] Émile Durkheim, Le Suicide, Paris, PUF, 1995 (1ère éd.1897), p.144.

[3] Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre I, Chapitre 1, 1094a, traduction de Jules Tricot, Paris, Vrin, , 1959, p. 31-32. Art étant à comprendre ici comme un « ensemble de procédé servant à produire un certain résultat » note Jules Tricot.

[4] Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre I, Chapitre 6, 1098a, traduction de Jules Tricot, Paris, Vrin, , 1959, p. 31-32. Art
étant à comprendre ici comme un « ensemble de procédé servant à produire un certain résultat » note Jules Tricot.